Par Laura Makary
C’est un petit marché qui a tout pour devenir grand. Depuis quelques années, un nouveau segment prend de l’ampleur dans les magasins bio et, petit à petit, dans les grandes surfaces. Vous avez sans doute aperçu ces petites bouteilles colorées : le kombucha et, plus récemment, le kéfir. En deux ans, leurs ventes ont doublé pour atteindre un marché de 15 millions d’euros en 2021, selon le cabinet Biotopia Insight. La hausse s’est confirmée encore en 2022, puisque sur les huit premiers mois de l’année, il représentait déjà plus de 13 millions d’euros.
De quoi parle-t-on ? Il s’agit de boissons millénaires fermentées, sans sucre ajouté. Commençons par le plus connu, le kombucha, qui pèse plus de la moitié de ce nouveau marché. Dans la bouteille se cache un savoureux mélange, plutôt inhabituel dans les rayons traditionnels… « Il s’agit d’une infusion de thé au sucre de canne, dans laquelle est réalisée une symbiose de plusieurs types de levures et de bactéries. Cette symbiose va évoluer, consommer le sucre et créer des acides organiques. Pendant la fermentation, le sucre diminue et l’acidité augmente », présente Antoine Martin, ancien ingénieur géologue et cofondateur de la marque de kombuchas Jubiles. Créée en 2017, son entreprise a dépassé le million de chiffre d’affaires et a écoulé 500.000 litres l’an dernier. En 2023, elle devrait même en vendre 700.000.
Résultat, et c’est sans doute l’un des ingrédients de son succès, la quantité de sucre est plus faible que dans les sodas classiques. Le kombucha hibiscus et myrtille de Jubiles, par exemple, n’affiche que trois grammes de sucre pour 100 ml, contre une dizaine pour un Coca ou un jus d’orange.
Ni arôme, ni colorant, ni conservateur
Il en va de même pour le kéfir de fruits, obtenu de la même façon, à travers une fermentation via les grains de kéfir. Légèrement gazeux, il peut être consommé sans sucre supplémentaire. « Cela attire bien sûr les populations ouvertes à une alimentation saine ! Le sucre est totalement consommé lors de la fermentation. De plus, le kéfir n’est pas un produit ultratransformé. Nous n’ajoutons ni gaz carbonique, ni arôme, ni colorant, ni conservateur », indique Aurélien Fabas, cofondateur du Labo Dumoulin, créé en 2019. Cet ancien de Nestlé ne regrette pas l’aventure : la société a déjà dépassé le million d’euros de chiffre d’affaires et prévoit 35 % de croissance en 2023.
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Il n’est pas le seul à avoir senti l’attrait pour ces produits. Toujours selon l’étude de Biotopia Insight, le nombre de références de kombuchas et de kéfirs de fruits a grimpé de 65 % en deux ans. La France suit les pas des Etats-Unis, qui a participé à démocratiser ces breuvages consommés traditionnellement en Asie. « C’est assez paradoxal, puisque c’est le pays où l’industrie agroalimentaire est la plus puissante au monde ! Ce grand engouement arrive maintenant chez nous, où l’on avait un peu oublié les bienfaits des aliments fermentés, que ce soit pour la santé ou pour la planète », explique Marie-Claire Frédéric, journaliste culinaire et autrice des ouvrages « Boissons fermentées naturelles » et « Aliments fermentés en 120 recettes ». Un double argument dans l’air du temps.
Réduire leur impact
Premier argument côté environnement : une fabrication artisanale, nécessitant peu d’énergie. « C’est en effet un point important de nos jours : ces boissons ne nécessitent pas de congélateur, de frigo ou de stérilisateur. Et on doit utiliser des ingrédients issus de l’agriculture biologique, puisque les pesticides peuvent compromettre la fermentation ou donner des goûts indésirables », relève l’experte. D’où leur présence majoritairement en bio.
Les jeunes pousses qui se lancent sur le marché ont aussi à coeur de réduire leur impact environnemental. L’Atelier du Ferment, par exemple, s’est lancé dès ses débuts dans la consigne. « Tout le monde nous disait que l’on était un peu fous, que ce n’était pas duplicable à grande échelle. Et aujourd’hui, nous sommes fournisseurs pilotes à l’échelle nationale pour le retour de la consigne en France », se réjouit Marjolaine Nantillet, 29 ans, ingénieure alimentation ayant fondé sa société en 2017 avec sa mère, Sylvie. Les deux associées veillent à ce que leurs coproduits soient compostés et utilisés par les agriculteurs mayennais qui les entourent.
Flore intestinale et vertus immunitaires
À ce jour, il n’existe pas d’étude scientifique prouvant l’impact direct de ces boissons sur la santé. Sebastian Landaeus, qui a fondé Lökki Kombucha avec sa compagne Nina Lausecker, y voit un retour à une tradition ancienne : « Le fermenté a accompagné l’homme pendant des milliers d’années. Notre corps est constitué de bactéries, c’est un véritable microcosme, on ne peut pas vivre sans elles. » Les bienfaits revendiqués de ces breuvages : des vertus immunitaires, en nourrissant la flore intestinale et en aidant à la digestion, le tout avec des vitamines et des antioxydants. Attention, cependant, notamment pour les femmes enceintes, du fait de la fermentation, ils peuvent contenir des traces d’alcool.
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Une question demeure : celle du prix. Dans un contexte d’inflation et de baisse de pouvoir d’achat, ces bouteilles sont vendues en moyenne de 3 à 5 euros. « La difficulté est que pour baisser les coûts, il faudrait produire ailleurs ou dégrader complètement le sourcing, ce qui serait dommage pour cette boisson censée être saine et vertueuse ! Nous faisons le choix de tout faire en interne. À terme, en grandissant, on pourra faire des économies d’échelle, c’est certain. Mais cela ne permettra pas de diviser le prix par deux », détaille avec transparence Antoine Martin, de la marque Jubiles.
Arrivée en grande surface
Quoi qu’il en soit, face à ce succès chez leurs collègues consacrés au bio, les grandes surfaces commencent à étudier avec beaucoup d’intérêt ce segment en expansion. La marque portugaise Captain Kombucha, l’un des leaders en Europe, est ainsi répertoriée à Carrefour. Repérant l’attrait pour les apéritifs non alcoolisés, Monoprix a même créé un espace nommé « Soda Lab » dans ses magasins, où les offres fermentées ont la part belle.
« Il est important d’accompagner les clients quand de nouvelles boissons alternatives arrivent sur le marché. Ce segment pourra se développer sur le long terme grâce aux changements d’habitude de consommation et à la demande croissante de produits non alcoolisés », acquiesce Olivier Andreolety, directeur des produits de grande consommation de Monoprix. Il glisse d’ailleurs que l’enseigne prévoit de proposer des références de kombucha sous son propre nom, d’ici à la fin de l’année.